À l’occasion de la quinzaine du commerce équitable, au mois de mai dernier, j’ai consacré 3 chroniques de Soleil Vert à ce sujet.
Les voici sous forme écrite, avec, comme toujours, les liens vers les versions audio en ligne sur le site de SUN.
Pour retrouver toutes les chroniques en version audio, blog et vidéo (si cette version existe), direction la page d’archives que je viens de créer.
Pas équitable = pas durable
Du 13 au 28 mai dernier, c’était donc la quinzaine du commerce équitable, l’occasion pour moi de vous parler du commerce équitable donc et de voir en quoi quand ce n’est pas équitable, ce n’est pas durable.
Commençons par définir ce qu’est le commerce équitable.
Dans mon petit dictionnaire, voilà ce que j’ai :
Commerce : n. m. Achat et vente de marchandises. Équitable : adj. Juste
Du coup je vais voir “juste” : adj. Conforme à l’équité.
Bon, alors “équité” : n. f. Esprit de justice. (Ça se mord un peu la queue mon truc.)
Justice : n. f. Caractère de ce qui est juste. Vertu qui inspire le respect absolu du droit des autres.
Le commerce équitable c’est donc l’achat et la vente de marchandises de façon conforme à l’esprit de la vertu qui inspire le respect absolu du droit des autres…
Mais il y a aussi une définition officielle !
Elle a été établie, en 2001, par les 3 principaux réseaux internationaux de commerce équitable : Fairtrade International, la World Fair Trade Organisation et la European Free Trade Association :
“Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur des changements dans les règles et les pratiques du commerce international conventionnel”.
Bon, expliquons tout ça.
Quand on a parlé développement de l’agriculture, je vous avais raconté que quand on a un système agricole qui fonctionne bien, on finit par réussir à produire plus que ce qu’on peut consommer, on peut donc troquer nos excédents avec d’autres.
Au bout d’un moment, pour faciliter le truc, on a inventé la monnaie et après, ben tout est un peu parti en sucette.
Tant qu’on échangeait des kilos de patates contre des litres de lait avec notre voisin ça allait. Il y a une confiance réciproque qui s’installe et on sait bien qu’on ne va se faire avoir.
Quand le marché est devenu mondial avec le développement des transports maritimes et aériens, on s’est retrouvé à faire des échanges avec des gens qui ne sont plus du tout nos voisins, et surtout qui n’ont pas du tout les mêmes moyens de production que nous. Mais on a quand même un prix mondial, le même pour tout le monde.
En plus au bout d’un moment la monnaie est devenue tellement virtuelle qu’elle n’a plus vraiment de rapport avec la valeur et le travail qu’on met dans notre production, mais bon…
Ajoutons à cela qu’à chaque intermédiaire, on ajoute une marge, vu qu’il faut bien que l’intermédiaire se rémunère.
Alors quand on est tout petit ou quand on fait un produit que plein d’autres gens peuvent faire pour pas cher, on n’a pas le poids commercial pour imposer notre prix et on s’adapte au marché.
Et on peut se retrouver comme ça à vendre notre produit pour moins cher que ce qu’il nous coûte.
Et ça ben, ce n’est pas durable.
Déjà ça peut vouloir dire qu’on va sûrement arrêter de produire. Ou alors on va se tourner vers un mode de production qui coûte moins cher sur le court terme, et c’est souvent un mode production qui respecte moins notre environnement et notre santé.
Enfin on y perd quoi, tout le monde y perd : le producteur, le consommateur et l’environnement.
Pour protéger les producteurs, il y a des trucs à faire sur place déjà, comme mettre des taxes.
Mais quand on veut acheter des choses en garantissant que le producteur vit et produit correctement, et bien le commerce équitable nous garantit que que l’argent qui revient au producteur est suffisant. En résumé.
Les produits locaux équitables
À l’origine, ce concept s’est développé pour les échanges entres les pays du Nord et du Sud.
Mais aujourd’hui, de plus en plus de citoyen se soucient de savoir si leurs voisins agriculteurs vivent décemment de leur travail.
Car une grande partie de ce qu’on mange quotidiennement est produit à partir de matières premières qu’on peut élever et faire pousser en France : le lait du petit-déjeuner, le blé de notre pain, la viande et le fromage du déjeuner, les pommes de terre de la purée, le blé dur des pâtes, et évidemment les fruits et les légumes de saison.
Alors pour s’assurer qu’on aura toujours accès à ces produits, à un coût raisonnable, rien de mieux que de privilégier des produits qui viennent de pas trop loin déjà.
Avec la question du transport, on n’est pas vraiment dans l’équitable mais on est dans le durable.
On en a déjà parlé, le transport représente une bonne partie de nos émissions de gaz à effet de serre et en plus le pétrole pas cher est voué à disparaître.
Donc manger local, c’est manger durable. Mais ce n’est pas forcément manger équitable.
Dans le prix de vente d’un produit agricole, on a plusieurs coûts :
- ce qui revient au producteur, pour couvrir ses frais de main-d’oeuvre, de bâtiments, de produits, d’énergie, de transport
- et ce qui revient à chaque intermédiaire pour couvrir les mêmes types de frais
Je l’avais évoqué quand on a parlé d’agriculture biologique : acheter en vente directe permet a priori d’avoir des produits de meilleure qualité à un prix abordable.
Et ça permet également de s’assurer que le prix qu’on paye est vraiment le prix dont le producteur a besoin pour vivre.
Car le prix que l’on paye est fixé par la personne ou l’entreprise à qui on achète. Et un gros groupe agro-alimentaire peut très bien, pour de très bonnes raisons qui sont celles au marché, limiter tellement le prix de vente que les agriculteurs ne récupèrent pas assez pour couvrir leurs frais.
C’est ce qui se passe très régulièrement avec le lait, souvent avec la viande bovine et cycliquement avec la viande de porc.
Et ça, c’est d’autant plus vrai pour des produits transformés, où on a mis beaucoup de main d’oeuvre, de recherche et d’infrastructures dedans.
Je nous encourages donc à privilégier la vente directe, les Amaps ou les magasins de producteurs. Mais il y a aussi des grands magasins qui mettent en place des filières d’approvisionnement local. Et là-dessus, je suis assez ambivalente.
D’un côté c’est cool : ça permet d’avoir des produits locaux, de bonne qualité, accessibles à tous. C’est un peu comme les marques distributeurs qui font du bio.
Mais d’un autre côté, j’ai du mal à approuver des contrats de ce genre : entre un producteur et un gros groupe qui a un poids économique gigantesque. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est une relation trop déséquilibrée pour être durable.
Après, il y a des enseignes qui font ça très bien et je me dis que plus il y en aura et plus ça sera médiatisé, moins les plus gros pourront profiter des plus petits.
Mais les agriculteurs ne sont pas toujours seuls, il y a aussi les coopératives agricoles, qui permettent aux producteurs de se réunir et de faire plus de poids. Et c’est tant mieux !
Finalement, je me dis que ça dépend des produits que l’on consomme.
Pour les produits standardisés qu’on aime consommer, comme les pâtes ou le lait par exemple (ah oui hein, le lait UHT c’est un produit pas mal transformé malgré les apparences), pour ces produits, les filières bio et locales dans les grands magasins, ça marche. Ca passe par des coopératives qui garantissent un certain niveau de revenu à leurs adhérents.
Mais pour les produits de saison, les produits typiques et les fruits et légumes par exemple : si on peut acheter en direct, c’est encore mieux. En plus, ça crée du lien, ça permet de papoter, de comprendre comment sont produits les choses qu’on consomme.
Et d’ailleurs, tout comme le commerce équitable avec les pays du Sud, ça ne concerne pas que l’alimentation.
On peut aussi penser vente directe et produits locaux pour la maroquinerie, les fringues ou les réparations par des artisans de quartier.
Les produits exotiques équitables
Mais, quand on entend « commerce équitable », en premier on pense surtout au café, au chocolat, aux produits exotiques quoi.
Car tout ce qu’on mange ne peut pas être produit en France ou en Europe : on n’a pas le climat qu’il faut.
Pour ce qui est agrumes par exemple ça va dans le Sud, mais il y a des cultures qui ne poussent que dans des climats tropicaux, avec un max d’humidité et de chaleur et ça, ben on n’a pas.
Par contre a priori je ne vois pas l’avantage écologique des pays asiatiques notamment pour la fabrication des fringues qu’on achète…
Prenons l’exemple du cacao.
J’ai ressorti une étude de marché que j’avais faite pendant mes études en 2009 (Blanc, M., Scotet, G. (2009). Le marché mondial du cacao. Cours sur les marchés agricoles, DAA Développement Agricole, AgroParisTech.), il faut savoir qu’en 2008, les 3 principaux pays producteurs de cacao étaient la Côte d’Ivoire, le Ghana et l’Indonésie.
En fait, on a une production mondiale du cacao depuis le 19ème siècle, et les différents pays producteurs se succèdent depuis, mais sont toujours situés autour de l’équateur. Ce sont les seuls à donner les conditions climatiques et écologiques nécessaires : 26°C en moyenne, jamais moins de 10 (à Nantes en 2016 on était à 12,7 de moyenne), une forte humidité (ce qui empêche les feuilles de se dessécher et de tomber), plus de 1500mm de pluie par an répartis de façon régulière tout le long de l’année (à Nantes en 2016 on a 763mm), une saison sèche courte, 3 mois maximum sans pluie, un sol riche en matière organique et neutre en pH.
Traditionnellement, on trouve les exploitations dans des forêts. On déforeste une partie en abattant et en brûlant les arbres, ça fait un bon apport en matière organique qui va donner un gros avantage à la parcelle pendant des années et ça garde de l’ombre pour les petites plantes.
Après 5 à 7 ans, les branches des arbres sont suffisamment développées pour faire de l’ombre sur tout la parcelle et empêcher le développement des mauvaises herbes, avec aussi les feuilles mortes qui font un tapis. Et là on a une production au top après 10-15 ans et après ça diminue. Et quand ça produit plus assez on bouge.
Et donc il se trouve qu’en général, les pays où on trouve le type de climat qui permet de faire pousser du café ou du chocolat, sont des pays pas supers riches.
On parle souvent de pays du Sud, parce qu’ils se trouvent au Sud des grands ensembles industrialisés et riches que sont l’Europe et l’Amérique du Nord. Mais en vrai au Sud on a aussi des pays riches ou plein boom comme l’Afrique du Sud ou l’Australie, mais bon, on garde encore le terme Pays du Sud.
Et donc le commerce équitable va permettre de s’assurer que les produits qui viennent de ces pays sont achetés à des producteurs qui sont suffisamment rémunérés.
Pour ces produits, les organisations de commerce équitable ont mis en place différents labels. Vous trouverez d’ailleurs en ligne un guide international des labels de commerce équitable, mis à jour en 2015 et très très détaillé, sur lequel je me suis basée.
Car quand on veut acheter de la qualité, on se fie à des labels, qui vont garantir un certains nombre de critères. Ça marche pareil pour l’agriculture biologique, les AOP (Appellations d’origines protégées) ou le label Rouge.
On a donc des critères qui sont définis pour le commerce équitable : d’où ça vient, agriculture biologique, responsabilité sociétale de l’entreprise, type d’organisation de la production, inspection de la filière, traçabilité.
Et on a un organisme qui va certifier que le produit répond bien aux critères : ça peut être interne ou externe au label.
On a par exemple le label “Contrôle équitable par Ecocert”, donné par l’organisme Ecocert, qui est aussi un des organismes certificateurs de l’agriculture biologique. Ils sont surtout présents en Europe et en Afrique.
Le premier label qui a été lancé, en 1988, c’est Fairtrade Max Haavelar, il est certifié par FLO-Cert, un organisme international, et on le trouve sur des produits qui viennent surtout d’Amérique du Sud et Caraïbes, Afrique et Moyen Orient.
Il y en a plusieurs autres détaillés dans le document que je vous mettrai avec le podcast.
Il existe aussi des labels dits de “développement durable”, qu’il ne faut pas confondre avec les labels de commerce équitable.
On a par exemple le label Rain Forest Alliance, qui a une petite grenouille verte comme logo.
Ce label garantit la traçabilité, le respect des conventions de l’Organisation internationale du travail, des avantages sociaux additionnels, des mesures en faveur des producteurs marginalisés, des appuis aux producteurs, le renforcement des droits des peuples autochtones, la réduction des impacts environnementaux des activités, une protection de la biodiversité, l’interdiction des produits dangereux et des OGMs.
Mais il ne garantit rien en matière de rémunération, de financement ou de durabilité de l’engagement. Des mesures indispensables pour un commerce équitable.
Pour conclure, il faut savoir qu’il y a pas mal d’études qui ont été faites sur les impacts économiques, sociaux, organisationnels et environnementaux des labels du commerce équitable. Tout ça est carrément positif mais le champ d’étude est assez restreint : un petit nombre de produits agricoles emblématiques, comme le café, et surtout en Amérique du Sud.
Il y a donc encore du boulot pour les chercheurs mais dans le doute, acheter équitable c’est vraiment acheter durable !
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